L’ancien Premier ministre pakistanais Nawaz Sharif a été condamné vendredi, en son absence, à dix ans de prison par un tribunal anti-corruption, une sentence dénoncée comme “politique” par son clan, et qui fragilise son parti avant des élections législatives le 25 juillet.
Sharif, absent à l’audience qui s’est déroulée devant un tribunal d’Islamabad, “a été condamné à 10 ans de prison et à une amende de huit millions de livres” (10 millions de dollars) dans une affaire concernant l’achat de plusieurs appartements de luxe à Londres, a déclaré son avocat Mohammad Aurangzeb à l’AFP.Sharif se trouve actuellement à Londres au chevet de son épouse, atteinte d’un cancer.
Selon le procureur Sardar Muzaffar Abbas, le tribunal a également ordonné la saisie des appartements en question par le gouvernement fédéral.
L’affaire avait initialement été déclenchée par la publication des Panama Papers, des documents émanant d’un cabinet d’avocats panaméen et révélant les montages financiers de ses clients, dont la famille Sharif.
Trois des quatre enfants de M. Sharif étaient également mis en cause, dont sa fille et présumée héritière politique Maryam Sharif. Cette dernière, qui se trouve avec son père à Londres, a été condamnée vendredi à 7 ans de prison.
Conspiration
La sentence porte un coup sérieux au parti PML-N, fondé en 1993 par Nawaz Sharif, et qui est l’une des principales formations en lice aux élections législatives prévues le 25 juillet dans le pays.
Il est actuellement dirigé par le frère de Nawaz, Shahbaz Sharif, considéré comme plus brillant mais moins charismatique que son aîné, à la suite d’une série de décisions judiciaires à l’encontre de Nawaz Sharif.
En juillet 2017, la Cour suprême pakistanaise avait mis fin prématurément à son troisième mandat à la tête du gouvernement après des révélations sur de luxueux biens immobiliers détenus par sa famille via des holdings off-shore.
La justice pakistanaise lui a ensuite interdit de diriger son parti, puis de participer à tout scrutin, à vie. Son clan nie toute malversation et laisse entendre que Nawaz Sharif est victime d’une conspiration ourdie par la puissante armée pakistanaise.
Shahbaz Sharif a immédiatement fait savoir vendredi qu’il “rejetait” le verdict, depuis son fief de Lahore lors d’un point presse retransmis à la télévision.
“Je vais descendre dans les rues et parler aux gens de cette décision injuste et nous défendrons notre cause devant le tribunal du peuple le 25 juillet”, a-t-il poursuivi.
“Nous allons mener notre campagne électorale et protester de manière pacifique contre cette décision”, a-t-il ajouté.
De petits groupes de partisans des Sharif se sont réunis à Islamabad et dans d’autres villes du Pakistan pour protester, brûlant des pneus et criant des slogans, a constaté l’AFP.
“C’était une affaire politique et ça aurait dû être décidé politiquement. Mais il a été décidé de régler judiciairement une affaire politique”, a affirmé Bilal Butt, président du PML-N dans la ville de Multan (centre).
Le principal rival du PML-N au prochain scrutin est le PTI, dirigé par l’ancien champion de cricket Imran Khan.
Ce dernier, qui a fait de la lutte contre la corruption l’un de ses chevaux de bataille, s’est félicité de la sentence. “Aujourd’hui sonne l’aube d’un nouveau Pakistan: à présent, les voleurs n’iront plus dans les assemblées, mais en prison”.
Sauver son parti
On ignorait dans l’immédiat si Nawaz Sharif entendait revenir au Pakistan après le verdict, qui selon l’analyste politique Rasool Bukhsh Rais le place dans une “position difficile”.
“Si Sharif ne revient pas, son parti est fini”, estime-t-il. “S’il revient, il faudra qu’il se batte devant les tribunaux et il va beaucoup souffrir. Mais au moins il sauvera son parti”, juge-t-il.
“Cette décision va faire du tort au PML-N”, estime également l’analyste pakistanais Rifaat Hussain, qui juge peu probable que le père et la fille reviennent au Pakistan.
“Nawaz et Maryam vont rester à Londres étant donné qu’ils ont déjà l’excuse de l’état de santé de (leur épouse et mère) Kulsoom, et ils lanceront leur rhétorique depuis là-bas”, juge-t-il.
Dès avant cette décision, de nombreux observateurs s’inquiétaient du tour pris depuis plusieurs mois par la campagne électorale au Pakistan.
Nombre de militants et reporters se sont récemment dit victimes d’une campagne visant à infléchir leur couverture avant le scrutin. Ces pressions ont été assimilées par certains à un “putsch silencieux”. L’armée dément toute implication.