De fausses informations faisant état de centaines de trafiquants d’enfants au Gujarat ont déclenché cinq attaques mardi dans plusieurs villes de cet État de l’ouest de l’Inde. La fréquence de telles affaires s’accélère ces derniers temps dans cette nation d’Asie du Sud, qui dans sa modernisation adopte en masse les moyens de communication numériques.
La vague d’agressions a même poussé les forces de l’ordre du Gujarat à lancer un appel par communiqué: “Ne vous laissez pas emporter par les faux messages ou rumeurs sur les réseaux sociaux et n’attaquez personne en raison de suspicions”.
La messagerie américaine WhatsApp est un canal de communication extrêmement populaire en Inde et les rumeurs y prolifèrent hors de tout contrôle, aboutissant parfois à des lynchages. L’hystérie provoquée par des textos autour de prétendus “ravisseurs d’enfants” a d’ores et déjà coûté la vie à au moins 22 personnes en un an, d’après la presse indienne.
Mardi soir dans la grande ville gujaratie d’Ahmedabad, persuadé d’avoir affaire à l’un de ces “gangs”, un attroupement d’une centaine de personnes s’en est ainsi pris à une mendiante de quarante-cinq ans, Shantadevi Nath, ainsi qu’à trois femmes qui se trouvaient avec elle.
“Les gens dans la foule ont matraqué à coups de poings et de pieds les quatre femmes. Certains les ont même frappées avec des bâtons et les ont tirées par les cheveux, causant de graves blessures à Shantadevi”, a expliqué à l’AFP le responsable policier JA Rathwa.
Secourues par un agent en charge de la circulation, les victimes ont été transportées à l’hôpital où Shantadevi Nath a été déclarée morte.
Le même message viral, selon lequel des trafiquants étaient arrivés en nombre au Gujarat pour enlever des enfants dans le but de les vendre, a causé quatre autres épisodes de violences le même jour dans cette région industrialisée.
Dans la ville de Surate, une foule en majorité masculine a notamment amené de force une femme de 45 ans et le bébé qui l’accompagnait au poste de police. Ses accusateurs disaient que l’enfant avait été enlevé.
“Toutes deux ont été amenées au commissariat où il a été mis en évidence que c’était bien la fille et la mère”, a cependant indiqué un responsable policier local aux médias indiens.
Rumeur amplifiée
Les rumeurs meurtrières ne sont pas un phénomène nouveau en Inde, comme dans de nombreux autres pays du monde, mais leur émergence est facilitée par l’accélération et la démocratisation des moyens de communication numériques.
Surfant sur la guerre des prix des opérateurs de téléphonie mobile, les réseaux sociaux pénètrent désormais jusque dans les villages les plus reculés d’Inde. Propriété de Facebook, la messagerie Whatsapp compte plus de 200 millions d’utilisateurs actifs mensuels dans ce géant de 1,25 milliard d’habitants.
“Tout le monde utilise WhatsApp et c’est la meilleure plateforme pour diffuser des +fake news+ de nos jours car l’internet mobile ne coûte presque rien et tout le monde en Inde a accès à des smartphones”, a expliqué à l’AFP Pankaj Jain, du site SMHoaxSlayer.
Face à ce fléau, les experts appellent à une éducation à l’information et au bon usage des plateformes en ligne. En effet, les rumeurs sont souvent prises pour argent comptant par des internautes indiens, voire par des médias locaux peu regardants sur l’exactitude.
Le chiffrement des messages sur WhatsApp, voulu par les fondateurs du réseau pour protéger la vie privée de leurs utilisateurs, fait qu’il est presque impossible de remonter à la source d’une rumeur.
La police indienne “devrait répondre à ces messages avec des clarifications rapides. Ils devraient utiliser toutes les plateformes pour contrer les informations” de ce type, a estimé Nikhil Pahwa, rédacteur en chef du site MediaNama.
S’il n’existe aucun programme centralisé en Inde de lutte contre les “fake news”, quelques initiatives officielles localisées ont eu lieu de façon ponctuelle.
Au Tamil Nadu (sud) en mai, les autorités ont ainsi recouru à des hauts-parleurs pour mettre en garde la population contre les rumeurs. En Uttar Pradesh (nord), la police utilise elle-même WhatsApp pour propager de courts messages vidéos.