La Roumanie était plongée dans l’incertitude jeudi, au lendemain du sabordage surprise par les sociaux-démocrates (PSD) de leur propre gouvernement et du refus du Premier ministre Sorin Grindeanu de quitter son poste.
Les responsables du PSD ont retiré mercredi soir leur soutien au gouvernement investi en janvier, lui reprochant des “retards” dans la mise en oeuvre du programme économique.
Mais le sursaut du jadis davantage docile M. Grindeanu, 43 ans, laisse penser que les raisons de ce désaveu résident ailleurs.
“Il y a une différence nette entre le Grindeanu nommé en décembre par (le chef du PSD, ndlr) Liviu Dragnea et celui qui a refusé mercredi de démissionner”, a indiqué à l’AFP le politologue Ioan Stanomir.
– “Pressions inacceptables” –
“Ce revirement fait sans doute suite aux pressions inacceptables exercées par M. Dragnea afin d’obtenir une modification du code pénal à son propre bénéfice”, a-t-il ajouté.
- Dragnea, 54 ans, qui avait mené les sociaux-démocrates vers une écrasante victoire aux législatives fin 2016, avait dû renoncer à briguer le poste de Premier ministre en raison d’une condamnation à deux ans de prison avec sursis pour fraude électorale.
Mais il n’a jamais caché sa déception. En proposant M. Grindeanu pour ce poste, il n’a pas fait de secret de son intention d’être le vrai maître du jeu.
Une tentative d’assouplir la législation anti-corruption avait provoqué l’hiver dernier une vague de protestation d’une ampleur sans précédent depuis la chute du régime communiste, contraignant le PSD à revoir sa copie.
Cette formation doit désormais trouver une solution légale pour se débarrasser d’un Premier ministre devenu persona non grata dans ses rangs.
Selon la Constitution, la marge de manoeuvre est étroite: “le gouvernement est démis lorsqu’il perd la confiance du Parlement”, suite à l’adoption d’une motion de censure. La coalition de gauche incluant également le petit parti ALDE serait-elle prête à utiliser cette arme contre son propre gouvernement?
Les sociaux-démocrates ont envoyé une lettre au chef de l’Etat de centre droit Klaus Iohannis pour l’informer du retrait de leur soutien au gouvernement, en espérant une solution miraculeuse de sa part.
– Intraitable –
Le président a toutefois fait valoir qu’il ne pouvait pas lancer les procédures en vue de la nomination d’un nouveau Premier ministre tant que ce poste n’était pas vacant.
“M. Iohannis demande à la coalition au pouvoir de résoudre urgemment la crise dans ses rangs afin d’éviter une période d’instabilité politique”, a déclaré sa porte-parole, Madalina Dobrovolschi.
Devant cette impasse, les sociaux-démocrates ont admis avoir les mains liées. “Nous attendons que M. Grindeanu démissionne”, a déclaré leur secrétaire-général Codrin Stefanescu.
Le Premier ministre paraissait toutefois intraitable. “La Roumanie a besoin de stabilité et de responsabilité”, a-t-il écrit jeudi matin sur son compte Facebook.
Présent dès la première heure au siège du gouvernement, il enchaînait les rencontres prévues dans son programme officiel, y compris avec le ministre britannique de la Défense Michael Fallon.
Alors que, selon les analystes, M. Dragnea dirige d’une poigne de fer le PSD, rares ont été les voix au sein de cette formation à exprimer leur soutien à M. Grindeanu.
Les médias s’interrogent eux sur les raisons qui ont poussé l’homme fort du PSD à “se tirer une balle dans le pied”.
“La seule explication pour l’élimination de Grindeanu est le souhait de Dragnea de détenir le pouvoir absolu, au sein du parti et à travers le pays”, estime l’éditorialiste de Gandul.info Marian Sultanescu.
“Un changement du gouvernement six mois après son investiture témoigne de l’incapacité du PSD à gérér le pays et de Liviu Dragnea (…) à user de son pouvoir dans des limites raisonnables”, écrit pour sa part Sabina Fahti dans le quotidien România Libera.