La fille du Charpentier – Revue Littéraire

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Je me suis battue toute ma vie et je me bats toujours contre l’injustice”. La “fille du Charpentier” est l’exemple de réussite fulgurante d’une “créole métisse descendante d’esclave” qui a osé défier les grands patrons blancs pour leur discrimination à l’égard des enfants “noirs” qui n’avaient pas droit à “l’autobus des riches”.

L’autobiographie de Marie Danielle Selvon, avocate, psychologue et parlementaire, mène le lecteur dans l’univers du temps longtemps. Cette période de notre histoire dominée, dans une grande mesure, par l’oligarchie sucrière et où c’était coutumier de se réunir les soirs, comme dit l’auteure, “autour du réchaud de charbons ardents” pour savourer des histoires mystérieuses, en particulier celles des fantômes, avant d’aller se coucher; ces histoires qui nous “gardaient du monde matériel et nous faisaient oublier les soucis mondaines”. Cela me rappelle de mon enfance comme bon nombre de gens originaires des fins fonds des villages lointains. Cette vie combien précaire mais combien heureuse dans une cohésion familiale extraordinaire, loin des tumultes quotidiens d’aujourd’hui.

Riche de son expérience en tant que psychologue et ses rencontres avec des “guérisseurs et chamans” dans différents pays du monde où elle a vécu avec sa famille, l’auteure fait un survol des traditions spirituelles en guise d’une tentative d’explication des phénomènes paranormaux à l’instar de “loups-garous”, de “ministre prince” et de “touni minuit”, sans oublier les activités occultes des “longanistes”, mages et devins.

L’auteure illustre la dure réalité des gens qui ont connus la misère dans les “bitations”. C’est une sorte de réminiscence pour ceux qui ont vécu dans une situation où le seul gagne-pain était le papa, avec une rémunération dérisoire pour subvenir aux besoins d’une famille nombreuse. C’est aussi un rappel à ceux qui sont nés avec une cuillère à la bouche que la vie n’est pas toujours en rose pour tout le monde. Si on arrive à comprendre cela, on pourrait mieux être au service des plus démunis.

Et Danielle Selvon l’a bien cerné cette inégalité de chances. Pour elle, “la pauvreté ne doit pas être une excuse au progrès et la réussite dans la vie”. Si on veut on peut, et ce n’est pas l’auteure qui dira le contraire. “Je n’ai jamais cru dans ma vie que la pauvreté serait une bonne excuse en toutes circonstances”. Quelle belle leçon!

Cette autobiographie démontre, s’il le fallait, comment, malgré la précarité, on peut sortir de l’ornière suivant sa volonté ou sa rage de réussir. A lire la “fille du Charpentier” on se rend compte de l’exemple qu’elle donne en tant que femme issue d’une famille vivant dans un camp sucrier.

C’est un récit terre à terre. L’auteure se révèle être une patriote au passé difficile, étant fille de charpentier dans l’industrie sucrière de Médine, mais qui a la détermination ferme d’oeuvrer pour l’amélioration du sort de ses concitoyens ayant une origine semblable. Elle se dit fière d’être descendant d’esclave, mais aussi fière du surnom de “Tabardaine” qu’on lui donnait jadis. Et pour cause. Dès son jeune âge elle se révolte contre la discrimination raciale et communautaire.

Cette publication de Vérone Editions de 192 pages, esquisse aussi le combat social et politique de l’auteure qui se veut être la “voix des sans-voix”, comment elle a emboité le pas de la politique et devenue députée. Elle nous donne aussi un aperçu de ses interventions au parlement, surtout en ce qui concerne la drogue, notamment le cannabis ou l’auteure fait état des mensonges autour de son utilisation à Maurice.

Inlassable dans son combat contre le communalisme, le racisme, l’injustice, la discrimination contre les femmes et pour une meilleure distribution de la richesse, elle appelle à la révolution pacifique pour un changement radical de la constitution du pays visant à éradiquer le fléau du communalisme et du racisme: “Que les Mauriciens se soulèvent contre l’injustice et une culture de contre-vérités”. Ou encore: “Il faut une vraie révolution pour mettre fin au « silence des agneaux » et pour un peuple mauricien qui détiendra les leviers pour un vrai contrôle constitutionnel et démocratique de l’exécutif – ce qui n’existe pas pour l’heure”, dira-t-elle dans son autobiographie qu’elle dédie à toute sa famille et à ses parents, mais aussi à “tous les descendants d’esclaves et de laboureurs engagés”.

Ce livre résume aussi la devise de l’auteure de “lutter, toujours et encore, face à une vie qui n’est faite que de défis à relever et d’obstacles à franchir”. Il fait une esquisse de la réalité mauricienne telle que vécut par l’auteure. Il sert comme un guide pour ceux qui veulent faire une incursion dans” letemps margoze”. Il porte un peu plus d’éclairage à ceux qui croient dans le combat que représente la vie. Un livre à lire pour son apport historique de la vie mauricienne dans les villages défavorisés.

Bonne lecture.

Amanoola Khayrattee

 

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